La 1ère fois que j’ai entendu l’expression « Mon professeur » avec un air de « le mien pas le tien », je me suis demandé ce que cela pouvait cacher, en quoi un professeur ne pouvait pas être partagé ?
Qu’est-ce que cela signifie pratiquer avec « son professeur de yoga »? Trouver le yoga qui nous convient, ou trouver la personne qui nous fera avancer sur la voie du yoga ? Trouver des personnes inspirantes ? Trouver un mentor, un Guide…? Bref, dans mon esprit, une relation unique semblait lier le professeur de yoga et son élève, mais pouvait-on aller à parler de relation aussi unique avec chacun de ses élèves?
Suivre des études au sein d’une classe classique ( à l’école par exemple), c’est se lier avec un professeur. On apprend à se connaître, on aime ou pas ce qu’on connaît de sa personne, puis on apprécie ou pas son enseignement, mais le fait de rester son élève n’est en aucun cas remis en question. Il peut paraître important de distinguer la personnalité de la qualité de l’enseignement fourni pour évaluer les connaissances transmises, mais la méthodologie et la capacité du professeur à impliquer une majorité d’élèves me semble inextricablement liées à sa personne: ce qu’il est, ce qu’il aime, de quoi il s’inspire, ce qu’ il souhaite partager… Enfin, chaque relation comme chaque individu a quelque chose d’unique bien qu’un professeur essaie d’être le plus impartial possible entre tous ses élèves.
De la même manière et plus encore, il me semble impossible dans l’enseignement du yoga de faire fi de l’identité d’une personne. Les échanges entre un professeur et un élève dans une classe de yoga me semblent être plus intimes encore que dans un cours traditionnel. De son côté l’élève engage tout son corps et son esprit pour effectuer la pratique, tandis que le professeur lui, révèle sa finesse de compréhension de l’intimité corporelle et psychique de l’élève. Le fait de communiquer par le corps avant d’espérer se lier par la parole ou par l’esprit donne une autre dimension à cette relation. Elle n’est plus freinée par une gêne corporelle, un ego social d’apparence. Le professeur et l’élève savent, et eux seuls savent, ce qu’ils se passent en l’élève dans le cours de yoga. Il y un discours muet, une compréhension intime tue mais bien réelle.
C’est là que je comprends que rencontrer « son » professeur de yoga n’implique pas une notion de propriété. Cela sous-entend juste qu’avec ce professeur, l’élève a établi un échange qui est juste pour lui, il a trouvé un enseignement qui parle à son corps et son mental, qui lui correspond.
Dans cette perspective, on peut dire qu’un professeur de yoga n’est pas forcément adapté aux besoins ou envies de tous; mais j’ai toujours éprouvé un certain respect pour cette dévotion d’un individu corps et âme à une pratique visant au bien-être; de soi et des autres. J’ai toujours apprécié ces personnes qui parvenaient à me faire découvrir des choses en moi/sur moi sans en avoir l’air de trop me connaître mais qui observaient en fait très finement. Je dirais même qu’en tant qu’élève, j’ai apprécié voire adoré des professeurs de yoga mais je n’en ai rejeté aucun. Je ne me suis pas retrouvée dans certaines pratiques, certaines méthodes d’enseignements mais sans que cela ne soit lié à leur personnalité. C’est comme si leur capacité à me faire progresser était décorrélée de leur personne. Ainsi, j’ai pu comprendre et saisir des enseignements alors même que ce n’était pas un professeur que j’affectionnais.
Puis je suis moi-même devenue professeur de yoga…
Et en tant que professeur, j’ai pu confirmer qu’un des enjeux est de pouvoir embarquer le plus d’élèves possibles sur la voie du yoga alors même qu’on ne peut pas plaire à tout le monde. J’essaie d’être à l’écoute, de transmettre à ma façon afin que chacun parvienne à entendre et à faire sien, ce que je souhaite partager. J’essaie de trouver des mots qui vont faire sens pour chacun, de trouver des moyens pour que tous nous puissions nous retrouver à vivre la même sensation, à sa mesure, selon son corps, selon sa journée, son état du moment. Autrement dit, trouver comment rattacher tous les wagons et voyager ensemble. Mais même si mon effort va vers le collectif, je sens bien que tous ne sont pas là pour la même raison, et que si certains reviennent car ils apprécient le professeur, d’autres ne reviennent pas. Il y a là quelque chose d’un peu blessant car soit mon enseignement est jugé mauvais est c’est terrible de ne pas transmettre un savoir de qualité, soit ma personnalité est rédhibitoire, soit il y a eu erreur de la part de l’élève dans le choix de la pratique et là c’est plus rassurant. Dans tous les cas, je reprends les mots de B.K.S Iyengar dans Les bases de l’enseignement du yoga Iyengar pour me guider: » Après le cours, votre travail consiste à chercher à élucider pourquoi l’élève ne comprend pas la posture. vous devez réfléchir à ce que sont leurs problèmes. Réfléchissez encore et encore. Travaillez ensuite sur vous-mêmes. »
En tant que professeur, je réalise qu’une relation particulière peut exister avec certains élèves. Il y a une vraie découverte de personnalités, d’esprits, de corps. Des corps qui changent, évoluent, se blessent, résistent, se détendent; puis des personnalités qui s’adoucissent, s’ouvrent; des vies qui changent et des relations qui s’en trouvent modifiées. Le professeur peut avoir un rôle important pour un élève (et vice versa) mais cette relation est fragile et absolument pas immuable.
C’est en cela que je la distinguerais de celle Mentor- élève qui me semble plus solide, inscrite dans une durée plus certaine. J’ai eu plusieurs professeurs de yoga avec qui j’ai aimé pratiquer; j’ai trouvé des professeurs avec la compréhension du/de mon corps et la qualité/ le type d’enseignement que je cherchais, puis j’ai dû choisir un Mentor pour m’accompagner dans ma formation. Je me suis alors interrogée sur la manière de le choisir: le destin le placerait-il sur mon chemin? devrais-je essayer tous les cours de potentiels mentors pour choisir le meilleur « fit » comme on essaie un cours de yoga puis un autre? devrais-je d’abord nouer une relation longue pour savoir si c’est lui? Finalement, c’était tout simple: est devenu mentor le professeur qui était là au bon endroit au bon moment et avec qui j’ai le désir d’apprendre, d’être guidée sans avoir pris le temps d’en rencontrer d’autres. Et contrairement à ce que j’aurais pu imaginé, ce n’est pas une complicité amicale qui s’installe mais un intérêt emprunt de respect, de simplicité et de sérieux. Je ne le vois pas comme un simple professeur qui peut me faire évoluer avec les autres élèves, mais comme une personne à qui je dois une grande sincérité dans ma pratique pour qu’il sache spécifiquement parler à mon corps et à mon esprit. L’exigence d’une relation plus étroite de ma part existe et c’est réciproque me semble-t-il. L’affection que je peux ou pas lui porter n’interfère même plus dans mon appréciation. Un examen est venu se placer comme ligne directrice de notre relation et c’est dans cet objectif que notre sincérité totale doit se faire.
C’est selon moi le stade précédent la relation ultime entre un Guide et un élève. Pour mieux comprendre la force d’un guru, voici des mots d’Abidjata Iyengar au sujet de Guruji, son grand père: « il continue à nous inspirer parce qu’il m’a enseigné – et je parle aussi au nom de tous ceux qui ont été proches de lui – quelque chose de si authentique, de si vrai, de si extraordinaire et à la fois de si sensé que nous en restons imprégnés. Si ça avait été quelque chose de superficiel, on l’aurait déjà probablement oublié ou d’autres choses seraient venues le remplacer. Mais parce que nous avons été en contact permanent avec son enseignement, celui-ci reste en nous et fait désormais partie de nous… »
Ainsi, trouver son professeur de yoga me semble d’abord être une chance, puis une opportunité pour aller vers une connaissance approfondie de soi-même en toute liberté, et enfin une étape vers une connaissance plus universelle de l’être humain. Le mentor renvoie pour moi à une relation plus cadrée, tandis que celle de Guru en appelle à de la dévotion.
Et vous, quelle relation avez-vous avec votre professeur de yoga? Qu’attendez-vous de lui?